Instantanés arachnéens sur la route des Crêtes …19 minutes de lecture
14h00 :
« Aujourd’hui j’ai des bleus au coeur. Et la vague à l’âme. Neuf mois de larmes et de déni. Neuf mois et les prémices d’une vie qui n’est plus. Une lente et douloureuse gestation en somme. Une gestation vers l’Absence. Une gestations vers l’oubli de toi que je ne peux supporter.
Alors rivée au lit et aux souvenirs qui ne sont plus, je m’abandonne toute entière aux tourments de mon âme brisée.
De cette intériorité qui hurle en silence depuis des mois, pansant sans jamais parvenir à faire tenir le bandage, cette plaie qui lui vrille les entrailles. Les minutes s’égrènent, puis les heures. Je pleure ce Vide mortifère qui grandit en moi. Je succombe à ma soif de larmes sans jamais pouvoir parvenir à l’étancher. Et je sais que je mène là un combat qui sera demain à recommencer.
Et pourtant, il suffit d’un Instant. Un moment hors des larmes et du Vide. Un moment où je m’autoriserais à reprendre vie, à aimer et à contempler. Et je ne suis pas la seule à en avoir la certitude.
Mécaniquement, j’enfile un jean et ce sweat que j’aime tant, déniché sur la côte du Maine pendant mes dernière vacances. Un coup de brosse rapide, un filet d’eau pour estomper les traces sur mes joues et la clé tourne dans la serrure. Nous voici partis vers cet Ailleurs qui seul peut me donner l’Instant dont j’ai tant besoin ».
14h30 :
« Les larmes cessent alors que démarre le moteur. A vrai dire, je ne sais même pas où je vais, mais le simple fait de rouler me fait du bien.
Cheveux au vent, je me laisse bercer par le doux cliquetis de l’asphalte et la valse des paysages qui défilent devant moi. Peu importe en fait notre destination, cette idée d’Ailleurs me suffit. Il paraît que j’ai toujours été comme ça. Que bébé je pleurais sans pouvoir m’arrêter, jusqu’à ce que l’on me mette dans la voiture. Et que Papi roule vers cet Ailleurs qui m’obsédait sans même en avoir conscience. Alors nous voilà. En route sans trop savoir où aller.
La musique de notre roadtrip à travers la Nouvelle Angleterre résonne dans l’habitacle et je m’autorise à prendre une bouffée d’air frais. A ourler du regard les pompons dorés de ce mimosa que j’aime tant. A détailler les couleurs chatoyantes des façades provençales. Et je prend garde à ne jamais demander où se clôturera ce voyage improvisé. Pour une fois, je ne veux pas savoir. Je ne veux pas réfléchir ou planifier, je veux ressentir. Il faut au moins ça ; l’émotion brute et primitive de l’Ailleurs pour me ramener à la vie après deux jours d’air vicié par les larmes.
Il me faut cet Instant. Ce Tout. Et pour une fois dans ma vie, je ne veux pas d’Après ».
15h00 :
« Suspendue à mon propre souffle, je porte mon regard embrumé sur l’horizon qui défile à la fenêtre. Peu à peu, l’habitacle cahote et la carrosserie rutilante se couvre de poussière. Le soleil a beau être de la partie, il pâlit face à la force impétueuse de notre fougueux Mistral provençal. Lequel se fait de plus en plus furieux à mesure que nous roulons vers les cieux. Laissant ondoyer à nos pieds la Méditerranée alanguie, nichée dans les replis d’une Nature insoupçonnée.
Il est vrai que j’ai toujours considéré ma région comme aride.
Sèche et amère dès que vient l’Automne, elle qui ne peut s’enorgueillir de feuillages chamarrés ou de tapis blancs glacés. Mais il faut bien avouer qu’en ce Printemps précoce, drapée de bleu et passementée de mimosa éclatant ; elle à fière allure. Elle n’a plus rien d’aride, elle qui déploie ses fleurs sauvages et ses pins arachnéens vers le ciel. Et je me fais toute petite, recroquevillée sur mon siège, bouche bée devant tant de merveilles. L’asphalte à perte de vue et en bas ; ce monde minuscule. Cette fourmilière bourdonnante qui se perd dans un dédale de vert fébrile. »
« Couverte à mon tour de poussière, je laisse à peine le temps à la voiture de marquer l’arrêt avant de me précipiter dehors. Le vent souffle toujours, emmêlant mes cheveux et les larmes oubliées sur mes joues diaphanes. Sans prendre le temps de me couvrir, je cours vers ce bleu, vers cette Méditerranée au sombres reflets qui se fait le reflet de mes sentiments confus … Oscillant entre bleu colère et turquoise espoir.
Il faut avouer que ce n’est pas la première fois que je confie mon coeur meurtri aux profondeurs. Y a-t-il meilleur linceul pour des rêves déchus que l’abîme des flots ? Peut-il y avoir meilleur interlocutrice pour mes peines que cette mer qui du haut de la route des Crêtes parait s’appesantir, rôtissant sous le soleil de Février ? Et pourtant, malgré son apparence placide, je la sais déchainée. Je la sais torturée. Le moindre assaut du Mistral tonitruant à mes oreilles la pousse à ciseler avec opiniâtreté les falaises en contrebas, déferlant sur la roche en lames furibondes. Je m’assois doucement à quelques pas du vide. Presque précautionneusement. Et je regarde le bleu de la Mer hurler. Déverser sa colère en bruine fine sur le romarin en fleurs. Sur le littoral perclus de torpeur hivernale.
Et tandis que le vent hurle à son tour, tandis que tout autour de moi le paysage s’ébranle, je sens le calme revenir petit à petit … Peut-être que cette fois-ci les larmes cesseront de couler pour de bon. Peut-être juste un instant. »
15h30 :
« Nous aurions pu poser là nos valises et nos coeurs à vau l’eau. Simplement souffler un instant, en regardant les vagues fraiches pourfendre le ciel. Mais l’appel de l’Ailleurs se fait trop fort. D’un même élan, nous décidons de laisser Dame Méditerranée à ses turpitudes pour gravir cette route mythique que tant de silhouettes éthérées ont arpenté avant nous. Le souffle qui semblait me manquer si cruellement quelques minutes auparavant revient peu à peu, tandis que mes joues rosissent sous les assauts du vent.
Plus haut, toujours plus haut.
Funambules vaporeux portés par le bruit des vagues et le mugissement du ciel, nous gravissons encore et encore la route usé par les rêveurs et les amoureux de ce camaïeu de bleu profond. Je me demande soudainement à quoi nous ressemblons vu du ciel.
Je m’imagine ce fin ruban d’asphalte, à peine perceptible entre les méandres de ce tableau en pointillisme. De petites touches fragiles de vert, des gouttelettes de bleu et quelques perles d’ocres. Parfois même percent quelques filets d’or ; de sauvages pissenlits couronnés qui aiguillonnent l’herbe folle. Et tout ce ballet coloré vu du ciel doit ressembler à une miniature. A une palette de peintre désordonnée et en pleine effervescence.
Au rythme des cahots du chemin, je bouillonne d’impatience.
Minuscule fourmi sur cette route qui relève davantage du mythe que de l’urbanisme ; je rêve moi aussi de faire partie du tableau. De me saisir de ce pinceau imaginaire et de tracer à mon tour les contours de ce paysage d’exception … »
15h45 :
« La carrosserie n’aura pas suffit à contenir mes impatiences et quelques minutes plus tard, nous délaissons les charmes de la route pour marquer l’arrêt.
La vue est magnifique. Envoutante. Talonnée par les vents, l’herbe ondule tandis qu’au loin, je prend toute la mesure de cette mer environnante. Des souvenirs venus tout droit de l’Eté dernier me parviennent. Je repense au Maine, au sommet d’Acadia National Park. A cette pause que nous avions partagée, blottis l’un contre l’autre. A ce moment, ou comme ici, nous avions quitté voiture et asphalte pour jouir de la vue. Je me souviens avoir ri jaune, agacée, lorsque l’on nous a dit que ce parc fabuleux entouré d’eau et de sapins ressemblait à la Provence et que nous n’avions pas besoin d’aller si loin. Mais je dois bien avouer qu’en cette journée de Février, perchée sur les sommets de la Route des Crêtes, je comprend un peu mieux l’allusion. Jamais je n’aurais pensé que ma Provence natale était si bleue !
Moi, le bleu de Provence, je le voyais lavande. Un peu criard lorsqu’il est apposé sur les volets du village, plus fin et profond dans les champs endormis à l’ombre du Mont Ventoux. Mais jamais je n’aurais pensé qu’il puisse aussi être si fauve. Si solitaire et mélancolique.
Jamais je n’aurais pensé qu’il puisse faire autant d’échos au Bleu de mon coeur. »
16h00 :
« Encore quelques minutes à dévorer le bitume. Infatigable et sans fin, la Route des Crêtes déroule ses virages à flanc de colline. Enivrant de nuages laiteux les touristes enfermés dans leurs carcasse de métal … Elle ondule, ourlée d’herbes parfumées et ployant sous les caresses du Mistral empressé. Et nous suivons ses cahots, ses avancées enfiévrées vers le ciel de Provence.
Bercée par les mouvements du véhicule, je mets mon esprit oppressé au repos. Je ne pense plus. Ne ressens plus. Si ce n’est cette fragrance de thym saturée d’embruns salés … »
16h10 :
« Nouvel arrêt, nouvel merveille.
Au dessus de nous, m’immergeant totalement dans son ombre majestueuse ; le Cap Canaille s’élève. Je ne peux m’empêcher de remarquer la foule de marcheurs aguerris qui en gravit la pente pour en gagner le sommet. Et profiter d’une vue certainement spectaculaire sur les alentours. Mais il faut dire que où que l’on soit sur la Route des Crêtes ; le regard embrasse cet endroit bien particulier où ciel et mer se confondent … Alors nous préférons d’un même élan éviter la foule.
Quelques larmes se faufilent encore, au rythme d’un soupir ou d’une pensée volée. Et je suis bien aise de simplement contempler les reflets marins sertis d’or. Certes, le coucher de soleil est encore bien lointain. Mais l’Astre doré entame doucement sa descente et le paysage se teinte d’accents cuprifères. Nichée parmi les pins de ma Méditerranée natale, je reste là. A simplement noyer mes pensées dans les abîmes … »
17h00 :
« Un instant, le bleu des flots tourmenté s’estompe. Les volutes d’asphalte nous mènent encore plus haut, au sommet de cette Route des Crêtes à nulle autre pareille. Et, comme une surprise bien gardée au coeur d’un forêt enchantée ; le paysage change du tout au tout.
Il se module au grès des aspérités et des cahots de la route. Jusqu’à nous dévoiler un aspect incongru et envoutant, totalement inattendu, de sa beauté sauvage et mouvante …
Car subitement, je quitte l’aquarelle côtière qui prévalait jusqu’alors pour embrasser pleinement la gouache aux allure de Wild West qui flamboie maintenant sous mes yeux … Des bleus pastels rehaussés de teintes fauves, abruptes et fières. Du vert laiteux noyé sous la blancheur crémeuse des rocks. Une arche échappée des plus beaux panoramas de l’Utah et simplement déposée là ; entourée de thym et de romarin. Une Provence farouche, insoupçonnée, toute en mesas et buttes de pierres.
Et tel un Lucky Luke au féminin, je quitte mon Jolly Jumper de ferraille pour gravir un sentier couvert de romarin et d’immortelles.
Pour profiter un instant de cette beauté à couper le souffle … »
17h30 :
« La vue au sommet prend des airs d’Absolu.
Une myriade de points colorés, de nuances scintillantes, de détails passionnés. Mon regard embrase cet instant béni, dolent et tranquille. Quelques secondes volées à flanc de mer. Quelques secondes nichées sur une arche surplombant l’heure bleue d’un Dimanche de Février. Enfin, le coeur se fait calme. Il n’y a plus de larmes. Elles reviendront sans doute, à la manière des flots furieux. Mais pas aujourd’hui.
Aujourd’hui ne reste que ce calme d’après tempête. Un calme à bout de souffle. Un calme qui semble étreindre chaque reflet, chaque feuillage auparavant fébrile. Chaque émanation de poussière dorée. Chaque nuage endormi. La Route des Crêtes, pourtant si fréquentée des touristes, devient pour moi un panorama de quiétude.
Un havre de paix sur les hauteurs d’une Provence opaline … »
18h00 :
« Nous reviendrons, c’est sûr.
Ce sentier onirique a encore bien des charmes à dévoiler. Il nous faudra à nouveau reprendre la route, ravager le bitume pour percer le secret de cette beauté bien gardée … Et tandis que disparaissent les derniers sommets à l’horizon, rapidement remplacés par la cacophonie enjouée du village côtier ; je me sens un peu plus légère …
Bercée par les cahots de la route et lénifiée par le couchant qui approche, je respire enfin …. »
Carnet d’adresse arachnéen du Chaton Chiffon sur la Route des Crêtes :
Pour être tout à fait honnête, j’ai encore beaucoup à apprendre et à découvrir sur ce coin iconique de notre jolie France. Mais je peux d’ors et déjà vous donner le B.a-ba en la matière, histoire que vous puissiez également accéder à ce trésor lors de votre prochaine balade dans la région.
Y aller :
- Pour accéder aux superbes panoramas de la Route des Crêtes, le plus simple sera de disposer de votre propre véhicule. Ainsi équipés, il vous suffira de vous rendre à Cassis, avant de suivre les panneaux mentionnant la Route des Crêtes. Vous ne pourrez pas la manquer !
- La durée totale d’un circuit sur la Route des Crêtes est estimée à 15 km, allant de Cassis à la Ciotat.
- Comptez environ 1 heure 30 pour profiter de ces paysages enchanteurs. Voire davantage, si comme moi vous souhaitez en profiter pleinement !
Le Cap Canaille :
Si vous comptez faire l’ascension du Cap Canaille ; sachez que celui-ci culmine à 363 mètres d’altitude. Et demandera quelques efforts ! Mais il paraît que les vues y sont absolument grandioses … Mon cousin y a d’ailleurs amené nos amis californiens il y a quelques années et ils en gardent de merveilleux souvenirs … ainsi que de superbes photos ! Petite anecdote supplémentaire pour briller en société ; sachez que « Canaille » provient du latin « Canalis mons« , autrement dit « montagne des eaux, des aqueducs« , ou de « Cap naïo », du provençal, « montagne qui nage, qui avance sur la mer ».
Cassis :
Puisque la Route des Crêtes prend sa source sur les hauteurs du ravissant et pittoresque village de Cassis, je vous conseille vivement d’y faire un tour. Et de vous promener au coeur de ses jolies ruelles ensoleillée … Du reste, n’hésitez pas à profiter de la saison hivernale pour découvrir les merveilles de Provence ; il n’y a vraiment pas foule y compris sur le littoral ! Et les glaciers y sont nombreux et tout particulièrement savoureux … En outre, pensez à vous adresser à l’Office du Tourisme pour faire le plein d’infos et de recommandations.
Et vous ?
Avez vous déjà eu l’occasion de parcourir cette sublime Route des Crêtes ? Ou plus simplement de vous promener sur le somptueux littoral du petit village de charme de Cassis ? Si oui, n’hésitez pas à me laisser un message pour me dire ce que vous avez pensé de la balade ! Et ce d’autant plus si vous avez entrepris l’ascension du fameux Cap Canaille ! Peut-être allez vous me convaincre d’y aller à mon tour ? En attendant, je vous souhaite un bon weekend et de beaux rêves ; d’ici ou d’Ailleurs.
Que tes mots sont poignants, que tes photos sont belles… cette route est une de celles que j’ai le plus aimées dans ma vie, elle m’enchante et me fascine. Que la beauté du monde et le soleil du midi apaise tes bleus à l’âme ma chère amie, je t’embrasse affectueusement.
Merci Arianne pour tes mots qui me font toujours très plaisir … Oui je suis de ton avis, cette route est absolument sublime … Merci encore pour ta gentillesse, elle m’est précieuse. Et merci pour tes compliments ; ils me vont droit au coeur
Passes un beau lundi et courage en cette période compliquée
XoXo Le Chaton Chiffon
C’est tellement touchant ce que tu as écris et en même temps si plein de poésie !
Le Cap Canaille, j’en ai beaucoup de souvenirs. J’ai eu l’occasion d’y emmener notre Panda qui n’était encore jamais venu.
La route des crêtes a toujours été un endroit particulier pour moi. C’est le retour à la maison.
La prochaine fois que j’irais de ce côté là, je n’oublierais pas de penser à toi. Et j’espère que l’on aura un jour l’occasion d’y aller ensembles ! Avant de prendre une bonne tasse de thé ! Merci en tout cas pour ton amitié, ton soutien et ta bienveillance
Et comme toujours, une caresse à ce petit Mushu d’amour !
XoXo Le Chaton Chiffon